Santé: le reste du Canada se rallie peu à peu au point de vue du Québec

LE GOUVERNEMENT fédéral a-t-il un rôle à jouer dans le développement des soins de santé au Canada? Selon Jean Charest, la réponse à cette question est non. Et c’est la réponse que l’on entend de plus en plus souvent dans tout le pays.

Ottawa a une double influence sur le développement des soins de santé- par sa tribune qui est basée sur son interprétation des cinq principes de la Loi canadienne sur la santé, et par les pénalités imposées aux provinces conformément au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS), lorsque les provinces contreviennent, selon Ottawa, aux dispositions de la Loi canadienne sur la santé.

Charest suggérait récemment de remplacer les transferts en espèces en matière de santé par des points d’impôt. En d’autres mots, Ottawa soustrairait de l’impôt fédéral la somme présentement transférée en espèces dans le cadre du TCSPS. Les provinces pourraient alors utiliser cet allègement fiscal pour augmenter leur propre contribution aux soins de santé. Le Parti québécois est bien sûr en faveur de cette politique. La conversion des transferts en espèces du TCSPS en points d’impôt priverait Ottawa de sa capacité de soutenir par des pénalités les sermons prononcés du haut de sa chaire, ce qui mettrait fin à son rôle dans le développement des soins de santé. Ce serait une excellente chose puisqu’il est logique à tous les niveaux d’éliminer le rôle d’Ottawa dans le système de santé.

Ottawa ne gère pas les soins

Premièrement, ce sont les provinces, et non le gouvernement fédéral, qui gèrent les programmes de soins de santé au Canada. De manière générale, ce n’est pas Ottawa qui dirige les hôpitaux, qui paie le personnel infirmier ou qui négocie avec les médecins. Ce n’est pas Ottawa qui conçoit les mécanismes de paiement ou qui décide des services nécessitant un financement.

Deuxièmement, Ottawa se sert de sa tribune et de ses pénalités à des fins politiques. Le résultat en est que nul ne sait quel est le gouvernement responsable des soins de santé. Cette confusion fournit aux provinces l’occasion de rejeter le blâme sur Ottawa pour leurs propres erreurs et permet au gouvernement fédéral de s’attribuer le mérite de réformes avec lesquelles il n’a rien à voir.

Troisièmement, grâce aux transferts en espèces qu’elles reçoivent d’Ottawa, les provinces n’ont pas à assumer le coût total en impôt des dépenses reliées aux soins de santé. L’envers de la médaille, c’est que les contribuables ignorent tout du rapport qui existe entre l’impôt qu’ils paient et les services de santé auxquels ils ont accès.

Quatrièmement, d’un point de vue économique, il n’existe aucun débordement entre les provinces dans le domaine de la santé qui puisse justifier une surveillance au niveau national. Les frais modérateurs auxquels faisait récemment allusion l’Ontario n’auront aucun effet sur la santé des Québécois. Les ententes existant entre les provinces abordent la question des patients “transfrontaliers”, ceux qui, en présentant une carte d’assurance-maladie de l’Ontario dans un hôpital du Québec, déclenchent le mécanisme de paiement entre les deux gouvernements.

Enfin, il existe de réels avantages à permettre aux provinces de mettre en place des systèmes de soins de santé qui seraient différents d’une province à l’autre. Tout comme la concurrence qui, dans le secteur privé, mène à l’innovation et à des produits mieux adaptés aux besoins de la clientèle, ainsi la concurrence entre les provinces laissera plus de place à l’expérimentation et permettra de mieux cadrer les soins de santé avec les désirs de l’électorat provincial.

Seules la tribune et les pénalités d’Ottawa font obstacle à l’expérimentation. Par exemple, si la population ontarienne veut exiger des frais modérateurs pour les consultations médicales et les services d’urgence, elle devrait avoir le droit de le faire. Si le Québec souhaite suivre les recommandations de la commission Clair et instaurer un programme d’assurance accessoire pour les soins de longue durée, il devrait être en mesure de le faire. Si l’Alberta veut mettre en place la coparticipation au paiement de certains services au moyen d’une caisse santé financée par les primes d’assurance-maladie, elle devrait pouvoir le faire. Tout comme pour les produits mis sur le marché, les autres provinces pourraient alors étudier ces expériences et décider du modèle qu’elles souhaitent “acheter” ou imiter. Ailleurs au pays, les provinces sont de plus en plus en faveur d’une diminution du rôle d’Ottawa et de la possibilité de diversifier les soins de santé. Ce mouvement puise sa force dans une économie en perte de vitesse qui annonce la fin des surplus fiscaux annuels. L’époque récente des surplus fiscaux a eu un effet débilitant sur les débats sur les soins de santé. La grande préoccupation était de trouver un moyen de verser encore de l’argent dans les soins de santé. Et cet argent n’a pas servi à améliorer la prestation des soins de santé ou à revoir le système de prestation à payeur unique.

Avec le retour des déficits, la réforme est revenue avec vigueur au premier plan. Et il semble bien que sa première victime sera le rôle d’Ottawa dans le développement des soins de santé. La Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario ont déjà manifesté leur intention de défier Ottawa, au besoin, sur la question des soins de santé plutôt que de laisser la hausse fulgurante des coûts des soins de santé les entraîner vers un déficit. Et chacune de ces provinces a mis sur pied un comité très puissant pour étudier certaines réformes qui iront probablement à l’encontre de la Loi canadienne sur la santé. Le rapport de la commission Clair et sa demande à l’effet qu’Ottawa convertisse ses transferts en espèces en points d’impôt placeront le Québec au centre du débat. Cette coalition provinciale mettra enfin un terme à la tribune d’Ottawa et aux pénalités qui en découlent qui ont entravé pendant si longtemps la réforme rationnelle des soins de santé.

L’auteur est chercheur adjoint attaché au C. D. Howe Institute Ken Boessenkool et président de Sidicus Consulting Ltd. une société- conseil en politique publique et économique.